mercredi 19 août 2020

Sea mirror

 As the waves are retreating,

And the sun sets,

The beach starts glistening, 

And like a mirror reflects

The empty shells embed

In this sandy sky, 

Like millions of stars

Ready to be taken down.


The foam turns into a frothy milky way,

That I will follow across the universe

To discover its mysteries,

In the end of the coming night.

Dragonfly

 Translucent wings

Make my heart sing

A living rainbow, dancing with grace,

Flies into my life, setting its pace.


Its arabesques in the air and above water,

Inspire me, like a guiding light,

Invite me to widen my sight,

To embrace lightness and join the wise elder.


Iridescent spirit,

Symbol of adjustment to life's obstacles,

My soul, you lift, 

As I start following your example.

Bloom

Beauty and

Love are

Opening and

Offering

Marvels to the world.

vendredi 31 juillet 2020

Autumn

Tear drop,
Tear drop,
Teardrop,
The sky is crying,
Tears are rolling down its cloudy, misty cheeks,
And land softly on our comforting Mother-Earth.

Autumn has arrived with its vivid colours,
The wind invites, one by one,
The leaves to waltz with him,
Spinning, spinning, spinning,
Till they land gently into my hands.

Orange, brown, yellow, green,
The brightest colours you've everyone seen,
Will soon vanish in the air,
As winter will tuck the world under its duvet of whiteness.


Free

As the light of the Sun dances on my closed eyes,
My soul leaves my body,
And rises in the air tout join the Energy,
That fills up the skies.

Love is all around,
The universe's limitless, all is one,
One is all, here's the truth I've found :
I am everyone.

Going through a trunk's membrane, I am a tree,
Skimming over a delicate veil of water, I am a river,
Showing up my colours to the world, I am a flower,
Embodying any Being, I am free.

samedi 25 juillet 2020

Tolkien : créateur des créatures de l’Anneau

Tolkien : créateur des créatures de l’Anneau

 

(Conférence donnée le 15 décembre 2017 à Dunkerque en partenariat avec l’association les Littoerales)

 

Quiconque a vu, ou lu, Le Seigneur des Anneaux ou Le Hobbit, ne peut que noter le foisonnement de créatures qui peuplent la Terre du Milieu. Force est de constater également que certaines de ces créatures nous sont particulièrement familières puisqu’elles ont habité, fut un temps, les mondes imaginaires de notre enfance par le biais des contes de fées. D’autres, en revanche, insolites et surprenantes, nous sont totalement inconnues. Comme pour tout élément constitutif d’une mythologie, les créatures fantastiques répondent à un besoin d’expliquer le monde environnant et les phénomènes qui le constituent, phénomènes qui, à plus d’un titre, laissent l’Homme perplexe. De ce fait, ce dernier ne peut que partir de cette toile de fond et l’agrémenter de créatures plus ou moins anthropomorphes, plus ou moins familières à celles qu’il rencontre dans la nature, et y apporter des ajouts, ou des modifications, afin d’illustrer les réalités de ce monde complexe et mystérieux. Partant de là, la créature qui surgit revêt des attributs qui retranscrivent tant les ressentis que la vision du monde de son créateur. Si nous nous penchons sur le cas de J.R.R Tolkien, nous sommes en droit de nous demander quel besoin se trouve à l’origine de l’invention de créatures telles que le Hobbit, les Nazgûls, ou encore les Balrogs. De quels phénomènes sont-elles les manifestations et quel dessein servent-elles dans la mythologie de Tolkien ?

Tout est parti des langues… Avant d’être un écrivain Tolkien était un philologue. Il étudiait et enseignait les langues anciennes. Cette passion l’a gagné très jeune puisque dès l’âge de 15 ans il s’amusait déjà à inventer des langues. Au fil de ses recherches au cœur des récits anciens il croisait des êtres, connus ou inconnus, et découvrait plus avant la mécanique des langues qui leur donnaient vie. Il croisa ainsi des mots qui, de par leur sens premier, donnèrent naissance à des créatures, tel que le mot ‘ent’, qui en vieil anglais signifie ‘géant’. Comme Tom Shippey l’indique, le fait qu’aujourd’hui ces géants soient une race éteinte a contribué à sceller leur destin dans l’univers de Tolkien. Ils deviendront des arbres-gardiens géants, implantés en Terre du Milieu depuis la nuit des temps (comme l’atteste la présence et l’origine lointaines de leur nom dans les textes en vieil anglais), et qui s’éteindront à la fin du Troisième Âge, avec la destruction de l’Anneau. L’on pourrait alors croire que Tolkien procédait de façon classique en couchant sur papier les personnages et êtres qui lui venaient à l’esprit et qu’ensuite il allait chercher de plus amples détails quant à l’aspect physique de ces créatures pour être le plus fidèle possible au canon. Or, la plupart du temps ce qui guidait et motivait Tolkien dans ses choix c’était le fait qu’il inventait d’abord une langue, puis qu’il s’interrogeait sur le type de créatures qui pourrait bien la parler. Il ne savait pas d’avance quelles créatures feraient partie de son monde. En puisant dans ces lectures, il associait donc la sonorité des langues qu’il avait élaborées aux noms qu’il croisait, à leur histoire et à leur sonorité oubliée. Pour lui, la manière dont une langue sonnait était évocatrice de la nature bienfaisante ou maléfique de ladite créature, selon que ses accents étaient doux ou plus gutturaux, voire durs. De ce fait, une créature n’était pas uniquement constituée de traits physiques caractéristiques, son identité tenait également à la langue qu’elle parlait.

La Grande- Bretagne ayant subi de nombreuses invasions chaque peuple y a laissé une trace de son passage dans de nombreux domaines. Ce sont justement ces trésors que Tolkien voulait déterrer et ressusciter au fil de ses recherches. Plus il découvrait de nouveaux textes, plus il accédait à la richesse et à la diversité de l’histoire littéraire, linguistique et légendaire de son pays. Avec toutefois un petit bémol… En effet, il constata rapidement que toutes ces sources étaient éparpillées et ne formaient pas un seul et même corpus. Elles ne formaient pas une unité. Il entreprit alors de les rassembler,  de reconstituer, de reconstruire, ce corpus et ainsi de rétablir une mythologie britannique digne de ce nom. Bien entendu cela ne pouvait se faire sans le recours aux créatures fantastiques peuplant les récits des invasions passées. Tolkien n’appréciait pas le fait que celles-ci aient été réduites à de simples personnages de contes de fées, tout juste bonnes à divertir les enfants et à ne pas être prises au sérieux. Il avait à cœur de restaurer le fait qu’elles aient existé dans l’imaginaire collectif de l’humanité, et à plus petite échelle, leur importance dans la culture britannique. C’est en cela qu’elles font partie de l’histoire de ce peuple. A travers, son œuvre Tolkien rétablit cet usage de l’imagination et montre qu’il est encore possible de rattacher ce passé lointain au monde présent.

Pour ce faire, même si son imagination déborde de créations originales, Tolkien, dans un premier temps, se voit obligé de faire appel aux créatures déjà connues du public afin de faire adhérer son lectorat et que la présentation de nouveautés ne soit pas déroutante ou incongrue. Cette première étape dans l’élaboration de son monde justifie donc la présence des elfes, des trolls, et des nains (créatures anthropomorphes auquel le lecteur sera plus sensible). Ceci sans oublier également le dragon, créature encore présente dans l’imaginaire collectif puisqu’il occupe une place de choix dans un ouvrage connu de tous : à savoir la Bible. Toutefois, ne mentionner que ces créatures serait réducteur. En effet, lorsque l’on s’intéresse aux autres récits de son œuvre, nous croisons au fil des pages d’autres créatures qui nous sont tout aussi familières telles que les araignées, les loups-garous et même…les vampires. Certes, loups-garous et vampires occupent une place mineure mais ils contribuent néanmoins, à leur échelle, à l’élaboration de l’histoire de la Terre du Milieu. Ainsi même s’il se limite à ce premier choix de créatures connues, il ne décide pas pour autant de débuter ses récits par une mise en avant de ces peuples. Ils sont déjà connus, il préfère donc mettre en avant des créatures oubliées, voire totalement inédites. N’oublions pas que le Hobbit ainsi que le Seigneur des Anneaux commencent tous deux chez les…hobbits. Le hobbit remplit une double fonction. De par sa petite taille il permet au lecteur, lorsqu’il s’agit d’un enfant, de s’identifier à lui et d’avoir un modèle de héros qui malgré cette taille triomphe des obstacles. Du côté du lecteur adulte, le hobbit représente l’Anglais rural qui tient à son indépendance et qui ne souhaite surtout pas se faire dicter sa conduite par quelque partisan du progrès. Cette créature fait figure d’anachronisme dans l’œuvre de Tolkien car elle transporte un Anglais du XIXè siècle dans un lointain passé. En cela, elle permet au lecteur contemporain de Tolkien de pénétrer plus facilement ce monde oublié. Les hobbits sont donc le pont qui permet de lier passé et présent. Commencer les deux récits chez ces petites créatures reste toutefois un pari plutôt risqué puisque cet incipit place directement le lecteur dans une posture de perte de repères, ce qui pourrait l’amener à ne pas poursuivre sa lecture par manque de suspension of disbelief, expression utilisée par Andrew Lang. Cette notion fait référence à la capacité de ‘suspendre son incrédulité’ pour se plonger pleinement dans le monde du récit. Pour que cela fonctionne il faut suffisamment d’éléments connus du lecteur afin que celui-ci ne soit pas dérouté par les éléments inhabituels qu’il croise, pour peu que ceux-ci s’inscrivent naturellement dans le cadre créé par l’auteur et qu’ils s’accordent avec ce qui est de l’ordre du familier. Dans Le Hobbit, le fait de débuter avec ces petites créatures originales ne pose pas de problème pour deux raisons évidentes. Tout d’abord il s’agit d’un conte pour enfants et ceux-ci sont plus enclins à ne pas remettre en question leur existence puisque leur quotidien est encore très imprégné d’imaginaire. Ensuite, très rapidement, le personnage du magicien (fortement connoté, tant il rappelle le personnage de Merlin) et les nains font leur apparition. Dans le Seigneur des Anneaux, qui est une commande de l’éditeur faisant suite au succès du Hobbit, les Hobbits sont déjà connus, le récit peut donc s’ouvrir sur eux.

Tolkien possède ainsi l’art d’introduire des créatures nouvelles, pas tout à fait oubliées mais presque, telles que par exemple, les orques ou les gobelins, et d’amener le lecteur à cautionner leur existence le plus naturellement possible. Avec le temps, l’orque a subi diverses transformations jusqu’à devenir petit et chtonique, vivant sous terre, préservant néanmoins à travers cet habitat le lien avec les enfers. Face à ce choix, géant contre petite créature souterraine, Tolkien a opté pour la grande taille. Le modèle réduit constituera le peuple des gobelins, déjà perçu sous cette forme dans l’imaginaire collectif (en témoigne par exemple le récit The Princess and the Goblin de George MacDonald). Pour ces créatures et bien d’autres encore (telles les Ents, les Oliphants – ancêtres des éléphants - ou le personnage de Beorn, l’homme-ours) Tolkien prend le peu d’éléments qu’il a déjà à sa disposition dans les textes anciens et tente de combler les manques en fonction de ses besoins, tout en essayant de rester fidèle à la nature propre de ces créatures. Le but étant de se rapprocher toujours plus de ce qu’elles étaient à l’origine. Tel un peintre, il effectue un véritable travail de restauration pour transmettre au lecteur des connaissances dans leurs couleurs originelles, qui sans cela seraient tomber dans l’oubli. Ainsi, à mesure que le lecteur avance dans ces récits, il passe progressivement de créatures qu’il connaît à des créatures qui lui rappelle vaguement un souvenir jusqu’à tomber nez à nez avec des êtres dont il n’aurait jamais soupçonné l’existence dans le bestiaire de son folklore. Grâce à ce procédé, il remonte le temps et se reconnecte à son histoire.

Et cela fonctionne d’autant mieux que les intrigues de Tolkien tournent autour d’une thématique profondément ancrée dans l’histoire de l’humanité : à savoir l’interrogation autour des notions de bien et de mal, que l’on retrouve une fois encore dans l’ouvrage universellement connu la Bible. A travers ses divers écrits, Tolkien se propose donc d’aborder cette question par le biais du bestiaire, en s’inscrivant dans la continuité d’une christianisation de celui-ci. Deux peuples, en particulier, servent ce questionnement : les elfes et les hommes. Commençons par les elfes. Si l’on s’intéresse plus précisément à leurs faits et gestes tout au long de l’œuvre, on constate très vite qu’ils surgissent toujours au bon moment, c’est-à-dire, lorsque les personnages principaux sont en difficulté. Ils apparaissent d’ailleurs de différentes manières. Soit ils traversaient la forêt au même moment, soit ils se manifestent à travers la nature (comme l’illustre la scène du Seigneur des Anneaux dans laquelle Elrond, à distance, crée à partir d’une rivière toute une horde de chevaux pour faire fuir les cavaliers noirs et permettre aux quatre hobbits d’échapper à ces derniers). D’autres fois, ils se manifestent à travers les vivres ou les objets qu’ils fournissent aux membres de la communauté de l’Anneau. En effet, à plusieurs reprises durant leur périple les membres de cette communauté sont à deux doigts d’abandonner la quête, à bout de forces et très éprouvés moralement. C’est alors qu’ils ont pour réflexe naturel de reprendre des forces en mangeant. A peine ont-ils avalé les lembas donnés par les elfes que, comme par enchantement, ils retrouvent l’énergie et la détermination nécessaires pour mener le voyage à son terme. Enfin, alors qu’il se retrouve dans l’antre de l’araignée Shelob (Arachne dans la version française), Frodon parvient à se guider grâce à la fiole que Galadriel lui a remise avant son départ de Lothlórien. D’ailleurs, il y pense dans un moment désespéré qui le plonge dans le souvenir de sa rencontre avec cette elfe. Tous ces événements semblent se produire de façon trop opportune pour n’être que des coïncidences. Ce qui nous amène à considérer que ces elfes, restaurés à leur taille humaine, et entourés d’un halo de lumière ne seraient peut-être pas que des elfes, mais revêtiraient plutôt le rôle d’anges gardiens veillant sur la Terre du Milieu. Si tel est le cas, il nous faut revenir aux orques. Dans le monde de Tolkien, nous apprenons qu’il s’agit en réalité d’elfes que Melkor (déchu par Eru parce qu’il voulait être l’égal de ce créateur) a enlevés pour les torturer jusqu’à ce qu’ils soient tellement déformés qu’ils en deviennent une nouvelle espèce. Ils sont donc le pendant maléfique des elfes, et de par la nature de leur créateur Melkor, se transforment en anges déchus et exterminateurs. Voici comment deux sortes de créatures fantastiques issues du bestiaire germanique se retrouvent christianisées, et peuvent rejoindre le reste du bestiaire préexistant. Passons à présent aux hommes. Il serait compréhensible de se demander ici en quoi l’homme a sa place  alors qu’il ne s’agit pas d’une créature fantastique. (Tout dépend de ce que l’on entend par créature fantastique.) Toujours est-il que d’une manière générale, il n’intègre pas cette catégorie puisque c’est son imaginaire qui donne naissance aux êtres chimériques. Pourtant chez Tolkien celui-ci est placé au même niveau que les autres peuples, il est une créature au même titre que les autres, qui connaîtra son âge après la destruction de l’Anneau, c’est-à-dire à la fin du Troisième Âge de la Terre du Milieu. Dans la communauté de l’Anneau il n’occupe pas de place prépondérante, ni en nombre (deux hommes pour quatre hobbits), ni en terme de pouvoir décisionnel (il y a toujours concertation et décision collective). Il se montre même parfois inférieur avec, par exemple, le personnage de Boromir lorsque celui-ci se détourne de son devoir pour tenter de s’emparer de l’Anneau. Ainsi, dans ce groupe de voyageurs les deux hommes, Aragorn et Boromir représentent les deux facettes d’une même pièce, à savoir la double nature, bienfaisante et maléfique, de l’homme. Ce qui permet à Tolkien d’introduire les Ringwraiths (ou spectres de l’Anneau). Le mot ‘wraith’, issu du vieil anglais, possède deux définitions. Il peut soit désigner le spectre d’un défunt, soit l’apparition spectrale d’un être vivant. En tombant sur ce mot et sa double définition, Tolkien a décidé d’en faire une nouvelle créature, à savoir le contrepoint des hommes. L’idée de spectre, d’une forme fantomatique, explique l’apparence physique de ces créatures dans le Seigneur des Anneaux. Toutefois, Tolkien va préserver les deux aspects, à la fois immatériel et matériel de ces êtres. Les Ringwraiths sont donc de sombres ombres vaporeuses cachées sous leur ample cape/robe noire, entourant les restes du corps qui fut le leur, et dont le visage se limite à deux yeux lumineux hypnotiques. Bien entendu ils représentent ce qu’il advient de l’homme lorsqu’il se laisse corrompre par le pouvoir de l’Anneau, lorsqu’il se laisse séduire par le mal. Il perd son intégrité, tant physique que morale, pour ne devenir que l’ombre de lui-même, un esclave de l’Anneau. Il est mort en tant qu’être humain, ce qui justifie son étroite ressemblance avec la faucheuse. Ainsi avec cet autre exemple, nous constatons que nombre de créatures créées par Tolkien sont liées à la question du mal et à son incarnation sous diverses formes. Leur sort semble donc inexorablement lié au destin de l’Anneau.

Mais en est-il vraiment ainsi pour toutes ? Dans un premier temps nous pourrions être tentés de le croire. En effet, la liste des créatures malfaisantes est loin de se limiter aux orcs et aux spectres de l’Anneau. Le pouvoir maléfique de Melkor s’étend bien au-delà, avec ou sans le concours de l’Anneau, et touche aussi des créatures telles que les Balrogs, ou le hobbit Gollum. Concernant les Balrogs, il s’agit en réalité de Maiars (tel Gandalf) ayant subi le même sort que les elfes. Ils ont été torturés par Melkor jusqu’à devenir méconnaissables. Physiquement ils ressemblent à des démons, sont anthropomorphes, possèdent une crinière faite de flammes et de la fumée s’échappe de leurs narines. Pour ce qui est du personnage de Gollum, il s’agit d’un hobbit (tel Frodon ou Bilbon) qui a été sous l’emprise de l’Anneau trop longtemps et s’en trouve défiguré, méconnaissable en tant que hobbit. Le pouvoir de l’Anneau (et donc indirectement de Melkor) a fini par le corrompre, intérieurement et extérieurement. Par conséquent, toutes ces créatures, Balrogs, orques, spectres de l’Anneau et Gollum sont la résultante du pouvoir corrupteur de Melkor. Et toutes sont intéressantes dans la mesure où il s’agit de créatures de mise à l’épreuve de l’intégrité des personnages lancés dans la destruction de l’Anneau. Les Spectres de l’Anneau n’auront de cesse de poursuivre le porteur de l’Anneau, Frodon, et son meilleur ami, Sam Gamgie. Gandalf affrontera un Balrog dans la mine de Moria et en ressortira tel un phœnix qui renaît de ses cendres, devenant Gandalf le Blanc. Gollum va tester Frodon et Sam (tout comme il avait testé Bilbon dans le prequel du Seigneur des Anneaux, à savoir le Hobbit). Les orques vont affronter les hobbits, les elfes, les hommes, en bref toutes les créatures qui défendent le sort de la Terre du Milieu. Chaque fois, il est possible, notamment pour les membres de la Communauté de l’Anneau, de laisser tomber, de céder face au nombre, ou face à la force qui se déploie devant eux et qui leur semble supérieure. Et pourtant, à chaque fois ils résistent, leur intégrité tient bon. Cela ne se fait pas sans dommage bien entendu, tous reviendront marqués à jamais de ce périple et en garderont des cicatrices plus ou moins visibles. Seuls deux d’entre eux vont céder au pouvoir de l’Anneau : Boromir, qui le paiera de sa vie, et Frodon, qui en perdra un doigt.

Afin d’apporter plus d’emphase quant au pouvoir réel de l’Anneau, Tolkien n’hésite pas à déployer toute la palette de couleurs qui le compose. Les êtres qui se laissent totalement corrompre et deviennent des esclaves, les êtres qui cèdent quelque peu à son pouvoir, perdant ainsi une part de leur intégrité et…même des êtres sur lesquels l’Anneau n’a aucun pouvoir. Si, si, il en existe ! Ces créatures servent de contraste au regard de celles qui perdent leur âme. Elles forment deux catégories : celles qui résistent au pouvoir et celles qui n’ont même pas à résister. Dans la première catégorie, nous pouvons classer Gandalf et Galadriel. Tous deux refusent de porter l’Anneau, conscients de son pouvoir. Ils savent que s’ils le prennent ils risquent d’accomplir les pires atrocités. Car même s’ils sont animés de bonnes intentions, l’Anneau avec son pouvoir maléfique prendra le dessus et manipulera leur esprit de sorte qu’ils commettent des actes abominables tout en étant convaincus qu’ils agissent pour le bien commun. C’est là un pouvoir hautement dangereux, dont ils se méfient. Cela s’illustre notamment dans la scène où Galadriel manifeste pleinement le pouvoir qui est le sien, à l’aide du simple anneau qui lui appartient. De cette scène, l’on imagine aisément ce qu’il adviendrait si elle portait l’Anneau de Melkor. Mais elle résiste. Dans la seconde catégorie mentionnée précédemment, il est possible de classer des créatures dont vous n’avez sûrement jamais entendu parler telle, par exemple, Tom Bombadil. L’Anneau n’a aucun pouvoir sur Tom. Ce qui a pour effet d’étonner tant les Hobbits que le lecteur. Nous avons là, la seule créature bienfaisante qui peut prendre l’Anneau, le passer à son doigt et ne pas disparaître. La raison en est simple : Tom est son propre maître, son intégrité ne peut donc être atteinte de quelque manière que ce soit. Les deux pouvoirs, celui de Tom et celui de l’Anneau, s’annulent, l’un ne pouvant agir sur l’autre. Ainsi, qu’il s’agisse de créatures à la base maléfiques, ou qui le deviennent, ou encore qui résistent et préservent leur intégrité, voire qui ne sont pas même atteintes par le pouvoir de l’Anneau, force est de constater que toutes possèdent un point commun…elles ont toutes pour dessein de mettre en lumière une seule et même créature…Cette créature est au centre de l’anti-quête qui se joue dans le Seigneur des Anneaux, elle en est en réalité le protagoniste. Son nom est d’ailleurs orthographié avec une majuscule ce qui légitime son statut de personnage. Elle revêt plusieurs formes, la plus usitée dans le roman étant celle où elle apparaît enroulée sur elle-même. Parfois, on l’entend siffler, d’autres fois on l’entend flairer. Il s’agit d’une créature discrète, qui peut rester cachée de nombreuses années. Elle ne se déplace jamais par elle-même mais cherche inlassablement à retrouver son créateur, par tous les moyens. Elle est tantôt tapie au fond d’une rivière, tantôt dans une grotte, tantôt dans la poche d’un hobbit. Cette créature c’est… l’Anneau ! Cela peut paraître surprenant bien entendu. Après tout il ne s’agit là que d’un objet. C’est justement comme cela qu’il trompe son monde. Pourquoi se méfier de ce simple objet ? Là est le tour de force que réussit Tolkien. Le fait de sous-estimer cet objet est ce qui le rend dangereux, car quiconque tombe dessus ne ressent aucune menace. Bien au contraire, il est attiré par sa brillance, par le fait qu’il semble très précieux, tout comme ne cesse de le répéter Gollum ‘mon précieux’. Il est beau, lisse, simple, et rare car unique. Ses attraits physiques donnent envie de le posséder. C’est la première étape de l’ensorcellement. Ensuite, que l’on connaisse ou non son histoire, lorsque l’on s’aperçoit qu’il rend invisible, on se sent fort, remplit d’un pouvoir d’invincibilité, d’invulnérabilité parce que invisible. Il agit alors telle une drogue sur son porteur, plus ce dernier l’utilise plus il a envie de l’utiliser. Ainsi si l’on associe le changement de taille et de poids aux sifflements émis par Gollum (celui qui s’est le plus servi de l’Anneau) et que l’on ajoute la posture rampante conférée aux créatures qui ont trop subi son pouvoir (une fois encore Gollum mais aussi les spectres de l’Anneau), et que l’on termine avec sa froideur, son aspect lisse et le fait qu’il soit enroulé sur lui-même, nous obtenons…un serpent. Un serpent qui se réchauffe, qui reprend vie, au contact d’un nouveau porteur, et qui communique avec lui par la pensée, par un pouvoir de suggestion puissant. Un serpent qui s’insinue partout. L’on est alors en droit de se demander comment cela est possible (surtout si on n’a jamais lu le Seigneur des Anneaux). Pour avoir la réponse il faut remonter au Silmarillion, récit qui parle de la création de la Terre du Milieu, et dans lequel nous est rapportée la création des grands anneaux de pouvoir. On y apprend que cet Anneau a été créé pour asservir les peuples de la Terre du Milieu auxquelles Eru, créateur suprême, a donné naissance (nains mis à part). Il renferme une partie du pouvoir de Melkor, de son être. Nous avons donc à faire à un paradoxe en soi : une personnification et une réification en un seul et même objet. A travers l’Anneau, Melkor peut agir en Terre du Milieu même s’il a perdu une partie de ses pouvoirs. Ainsi, réifié, réduit à simple anneau, il continue d’exister et d’agir. D’un autre côté, en inscrivant une part de ce qu’il est dans cet objet, en lui donnant vie, il en a fait un être à part entière. Il est la personnification de Melkor, ce qui explique partiellement la présence d’une majuscule dans son orthographe. Melkor étant une créature inventée par Tolkien -  enfin aux dires de ce dernier Melkor aurait été créé par Eru - en personnifiant Melkor par le biais de l’Anneau, Tolkien a donné naissance à une créature des plus atypiques : un Anneau de pouvoir. La boucle est bouclée, le fil rouge biblique est respecté jusqu’à la fin avec ce serpent tentateur, qui tel un ver dans le fruit, ronge de l’intérieur quiconque en devient le porteur. Tout ceci, toutes ces créatures inventées tentent de répondre donc à une question existentielle aussi vieille que la conscience humaine : quelle est la véritable nature du mal ? Ces créatures dessinent les contours du mal selon qu’elles se laissent ou non corrompre. Comme l’explique très bien Tom Shippey, Tolkien met en avant deux conception du mal. Soit d’un côté la vision de La Boétie qui consiste à affirmer que le mal est interne, causé par les péchés de l’Homme et son éloignement de Dieu, et de l’autre côté la vision manichéenne selon laquelle le mal trouve sa source en dehors de l’Homme. Toute l’œuvre de Tolkien est traversée par cette dichotomie et, lorsque nous achevons la lecture du Seigneur des Anneaux, en dépit de la destruction de l’Anneau, nous ne pouvons que constater qu’aucune réponse claire ne nous a été apportée, probablement parce que Tolkien lui-même ne parvenait à opter pour l’une des deux explications. En effet, toujours selon Tom Shippey si le mal était juste l’absence de bien alors l’Anneau ne serait qu’un amplificateur psychique et donc il ne serait pas nécessaire de le détruire, il suffirait de la confier à un être qui ne ressent pas son emprise (tel Tom Bombadil par exemple). Or, ce n’est pas ce qui se produit ici. La vision boétienne ne fonctionne pas. D’un autre côté s’il s’agissait d’une force extérieure qui ne trouve écho dans un cœur bon alors pour le détruire l’on pourrait envoyer Galadriel ou Gandalf, mais là encore il est clairement stipulé dans le roman que cela est impossible car ceux-ci ne sont pas infaillibles face au pouvoir de l’Anneau. La vision manichéenne est rejetée à son tour. Ou plutôt complète-t-elle la vision boétienne. Peut-être est-ce cela la réponse : le mal serait pourrait être la manifestation d’une force qui trouve sa source tant dans l’Homme que dans son environnement puisque l’homme est issu de cet environnement et en partage nombre de ses caractéristiques. N’oublions pas que le monde de Tolkien est un monde d’avant la séparation de l’homme d’avec la nature.

 

S.G

 

 

lundi 13 juillet 2020

Hasard de la découverte

    Le regard fixé sur sa montre lunaire, Yévha suait à grosses gouttes. La journée se terminait dans trois minutes et soixante-quinze secondes et il n’avait pas fini l’analyse de l’échantillon qu’il avait entre les mains. Le métier de chercheur de mondes exodéniens réglait sa vie comme du papier calimétré, de sorte que chaque chose avait sa plage horaire précise qui lui était dédiée. Hors de question de déborder. Mais ce jour-là l’échantillon rocheux qu’il analysait les mettait, lui et sa vie bien rangée, à rude épreuve. Ce que les résultats lui indiquaient l’intriguait au plus haut point et il fallait qu’il sache. Sa passion prit le dessus. Cela faisait si longtemps qu’il ne l’avait pas ressentie qu’il ne put résister à son appel. C’était cela qui le rendait vivant : la découverte, source d’émerveillement. Ainsi, il ne vit plus le temps passer et s’abandonna à ce qui le rendait heureux. Sorti de ce cadre, il n’aperçut pas les agents de nettoyage paramicrobiens entrer et commencer à nettoyer. Il était absorbé, ailleurs. Un raclement de gorge le sortit de son voyage éthéré aux confins de la matière.

- Excusez-moi mais je dois nettoyer votre bureau, dit l’un des agents.

- Oh ! oui, bien sûr, aucun problème, répondit Yévha. De toute façon il est temps de rentrer.

Il ramassa rapidement, et de façon brouillon, ses affaires et se précipita hors du bâtiment, se dépêchant comme pour rattraper cet emploi du temps qu’il avait malmené.
    De retour chez lui, il n’avait plus que quatre-vingt dix-huit secondes de retard sur son planning, était en sueur et complètement rouge d’avoir couru après le temps. En passant le pas de sa porte, il eut une sensation étrange, quelque chose allait de travers. Il referma la porte et passa son appartement au crible. Il regarda derrière les portes, sous les meubles – en prenant soin de bien les replacer à l’endroit exact qui leur était réservé. Il parcourut ses affaires, livres, objets décoratifs, vaisselle, rien n’avait été déplacé, rien ne manquait à l’appel. En revanche, l’odeur qui commençait à émaner de sous sa combinaison, elle, n’était pas habituelle et le fait de se sentir tout poisseux l’était encore moins. Aussi, il se décida à prendre un bain. Ce n’était pas l’heure bien sûr, car le bain arrivait d’ordinaire quarante-trois décans, treize minutes et soixante-seize secondes plus tard, c’est-à-dire dans trois décans, mais il n’y tenait plus et n’était plus à une entorse temporelle près.
Il se dirigea vers la salle aux ablutions désinfectantes pour se déshabiller. Il prit d’abord le temps de vider le contenu des diverses poches que comportait son habit pour les poser en vrac sur la tablette située aux abords de la baignoire. Il se fit la remarque que, décidément, cette fin de journée n’était vraiment pas ordinaire car en temps normal il aurait pris soin de vider ses poches de façon moins chaotique. Il ne se reconnaissait pas. Il mit l’eau à couler, y versa des minéraux effervescents et finit de se déshabiller. Ce n’était pas chose aisée. Voici que, collant comme il l’était, la combinaison lui résistait, agrippée à lui telle une ventouse qui refuse de se décoller. Une lutte acharnée entre l’homme et la matière débuta. Puis, à force de gesticulations acrobatiques Yéhva, dans un dernier mouvement d’extension, parvint à se dérouler de cette enveloppe, buttant par la même occasion dans la tablette sur laquelle se trouvait son vide poche. Tout tomba dans la baignoire où fumait déjà l’eau chaude.
    Toujours sous le coup de la lutte frustrante d’avec la combinaison, il se mit à récupérer rageusement, un à un, tout ce qui flottait ou coulait allègrement dans son bain. C’est alors que le sentiment étrange qu’il avait éprouvé un peu plus tôt revint avec une ardeur inattendue. Il se passait quelque chose, l’atmosphère était changée. Il plongea sa main dans l’eau à travers la mousse pour voir s’il restait quelque objet et c’est à ce moment-là que sa main effleura un objet inhabito-habituel. Il le saisit, le logea au creux de sa main, qu’il referma soigneusement dessus, et le sortit de l’eau. L’objet était chaud, vibrait et des battements réguliers en frappaient la surface au contact de sa peau. Plusieurs craquements légers se firent entendre et Yéhva sentit l’objet se morceler quelque peu dans sa main. Puis, chaque morceau sembla battre de lui-même, à son propre rythme, et brûler de sa propre chaleur. Tant et si bien que sa main fut sèche en à peine quelques secondes. Il constata alors que plus rien ne bougeait. Intrigué, il voulut ouvrir sa main pour voir quel phénomène étrange s’était produit, mais son intuition de scientifique lui intima plutôt de la replonger dans la baignoire et de libérer ce qui s’y tenait. Il glissa lentement et délicatement sa main dans les profondeurs de son bain, avec l’impression de tenir une coquille d’œuf si frêle qu’un seul mouvement aussi subtil soit-il, pourrait la briser. Il ouvrit la main et en libéra son contenu qui, aussitôt, se remit en mouvement. A la grande surprise de Yéhva, l’échantillon sur lequel il travaillait apparut. Il l’avait emmené par mégarde, ou peut-être était-ce l’inverse. Ce petit bout de météorite qui, plus tôt, avait révélé une composition des plus inédites, offrait à présent à celui qui cherchait à en percer les secrets, un spectacle incroyable.
    Là, sous ses yeux, chaque petit morceau se métamorphosait en une forme singulière. Des feuilles apparaissaient sur l’un, des yeux et une bouche sur l’autre, des pattes sur un troisième, et ainsi de suite. Avec un regard d’enfant retrouvé, Yéhva fut émerveillé de voir s’épanouir devant lui ce qu’il avait toujours cherché : la vie, ailleurs. Pour cela, il lui avait fallu sortir de son cadre, à tout point de vue, et comprendre que la vie ne se contient pas nécessairement dans un temps défini.

Nature morte

    En arrivant j’ai vu que mon petit-fils était déjà là. Je suis donc entré le plus discrètement possible et me suis posté dans un coin pour l’observer. Il se tenait debout près de la fenêtre, devant une table sur laquelle se trouvaient divers objets et il fixait ceux-ci, un à un. Son regard se porta tout d’abord sur ma boussole. Elle était posée au bord de la table, ouverte, prête à l’emploi. Elle était noire et dorée avec, par endroits, des reflets nacrés. Il la prit en main et la contempla sous toutes ses facettes. Puis il nota que les signes marquant les points cardinaux étaient quelque peu effacés par l’usure et que cela formait des signes étranges, comme venus d’un autre monde. Il serrait cet objet si fort qu’on eut dit qu’il cherchait à y trouver l’empreinte de ma main. J’avais envie de m’approcher, de partager cet instant avec lui mais je sentais qu’il était préférable de rester à l’écart, du moins pour l’instant. Je le vis ouvrir le coffret posé sur mon bureau et y ranger la boussole.
     Ensuite, il retourna vers la table et prit…la lettre. Elle était décachetée et le souvenir d’un sceau de cire rouge marquait son caractère officiel. De son autre main, il se saisit de la plume blanche qui me servait à rédiger mes différents rapports et compte-rendu. Là encore, j’eus l’impression qu’il ressentait tous les mots que ma plume avait pour mission de rendre vivants. Il déplia la lettre précautionneusement et en commença la lecture. Plus il progressait dans sa lecture, plus je voyais ses yeux s’écarquiller jusqu’à se transformer en un sourire d’amusement qui finit en un éclat de rire dont il eut du mal à se remettre. Il prit le temps de se recentrer sur la raison pour laquelle il se trouvait ici et déposa la lettre ainsi que la plume dans le coffre. Il se figea un moment. De toute évidence, cela le mettait mal à l’aise de m’enlever ces objets. Il inspira profondément, ferma les yeux, les rouvrit et se dirigea de nouveau vers la table pour y prendre les derniers éléments qu’il lui fallait emporter. Il en restait trois. Un crâne, une bougie allumée, et un perce-neige séché. Il déglutit et souleva le crâne. Celui-ci n’avait plus de nez et était dépourvue de sa mâchoire inférieure.

- Qui es-tu vraiment, toi, ‘la mort’ ? lui demanda-t-il.

Il attendit quelques instants, mais rien, ‘la mort’ restait silencieuse.

- J’aurais dû m’en douter, tu ne me répondras pas plus qu’à grand-père. C’est pas grave, j’aurais essayé. Je vois qu’il avait raison ‘ tant qu’on ne lui rendra pas le reste de sa mâchoire, la mort restera un mystère pour les hommes. Et étant donné qu’on ne sait pas dans quelles circonstances cette mâchoire a été perdue, on n’est pas prêt d’avoir la réponse. C’est pourquoi il faut vivre avec ce mystère toute sa vie’. Tu es malin comme un singe, papy.

J’étais content, depuis ma cachette, de constater qu’il restait quand même quelque chose de nos discussions. Puis le crâne rejoignit ses compagnons dans le coffret. Il ne manquait plus que le perce-neige. Il avait beau être séché, il s’en dégageait une fraîcheur intense, si dense, qu’on eut dit qu’il venait à peine d’être cueilli. C’était ma fleur préférée, celle de la renaissance, de l’espoir. Cette force de la vie qui, chaque année, porte un coup fatal à l’hiver, se retrouvait désormais enfermée dans une boîte, sur le point de quitter mon quotidien. Mon petit-fils pressa fermement le coffret contre son cœur et se dirigea vers la porte.
     Je fus saisi d’horreur et décidai d’intervenir. Je passai fugacement près de la bougie créant un courant d’air qui en éteignit la flamme et, au passage, je bousculai intentionnellement la table. La bougie manqua de tomber. Mon petit-fils, surpris, se retourna et se précipita pour la rattraper, de peur qu’elle ne se brise au contact du sol.

- Merci mon petit, lui dis-je.

Il se figea sur place, comme pris sur le fait. Puis, il finit par me répondre :

- Tu es là grand-père ?
- Oui.
- Alors, c’est vrai ?
- Je te l’avais bien dit ! D’ailleurs, heureusement que je suis revenu car tu allais oublier l’essentiel. - Ah, oui…la bougie, désolé, répondit-il un peu gêné. - Ce n’est rien ? Je comprends. Tu es un peu bouleversé. En tout cas, je te remercie d’avoir bien voulu te charger de cette tâche ingrate. - De rien grand-père. En échange, je voudrais te demander quelque chose. - Je t’écoute. - Reviens me dire si cela a au moins servi à quelque chose.
- Promis !

Il se remit en marche et, avant de sortir, me dit :

- Quand même, y a que toi qui pouvais demander qu’on mette dans ton cercueil, tel un pharaon, de quoi te guider dans l’autre monde et de faire entrer au paradis !
- Ben quoi ? Je voulais faire une dernière expérience. Il me semble logique d’utiliser ce qui nous est utile ici-bas, du temps de notre vivant, à savoir lumière et boussole, pour voir si ça peut aussi nous orienter de l’autre côté !
- Bien sûr… En tout cas, culottée ta lettre à Saint Pierre ! J’espère qu’il te laissera entrer !
- Moi aussi, mon petit. - Il me reste toutefois une question…
- Oui ?
- Pourquoi tiens-tu à emmener le crâne ?
- Ah, ça ?! Ben, pour voir si sa mâchoire ne se trouve pas là-haut ! Après tout c’est le seul endroit où on n’a pas encore pensé à regarder, non ?!

En Sōmme(s)

Tam.
Tam.
Tam.
Le tambour frappe et résonne. Le monde a ouvert ses paupières depuis peu et déjà la terre nous appelle. Les échos des battements de son cœur se font entendre.
Boum.
Boum.
Boum.
Nos racines plongent et se mêlent à celles des arbres, tissant des liens forts et résistants. Nous œuvrons désormais main dans la main. Tout un réseau de communication souterraine s’offre à nous. Les esprits des grands sages nous rejoignent.
Ting.
Bong.
Ils enchantent nos oreilles, parfois dans un murmure. Ils nous parlent, nous passent des messages que seule notre âme peut entendre et comprendre. Leurs voix flottent dans les airs, telles des petites lucioles sonores, tandis que nous réveillons notre corps. Pieds ancrés dans le sol, mains tendues vers le ciel, les portes de notre temple intérieur s’ouvrent, dévoilant un soleil rayonnant qui diffuse sa chaleur bienveillante et douce. Il vient se fondre aux milliers d’autres soleils qui irradient dans ce cercle lumineux. La sève de la terre mère monte du noyau terrestre, auquel nous sommes à présent connectés, emplissant d’énergie tout notre être. Nous levons l’une de nos jambes et déployons nos branches ainsi que notre feuillage. La brise matinale s’y engouffre aussitôt. Le chant qui en émane s’harmonise au chœur des sages qui nous entourent. Les oiseaux ponctuent de leurs pépiements cette mélodie céleste.
Aum.
Aum.
Aum.
Le son de la création nous ramène à la naissance du monde, à l’avènement de la vie, à notre propre création. Il résonne en nous pour nous rappeler que nous sommes lui et qu’il est nous. Nous ne sommes qu’un. Il est le cercle que nous formons, l’herbe que nous foulons, le soleil qui nous éclaire, l’air que nous respirons. Il est enfin dans ce Namaste que nous formulons et qui salue la part divine que nous voyons en chacun.
Bong.
Le tableau vivant qui nous accueille nous invite à explorer nos paysages intérieurs. Notre corps respire avec le monde, incarnant son souffle. C’est alors qu’une plume descendue du ciel vient se poser délicatement dans notre âme. Plume de paon, de chouette, de tourterelle, d’hirondelle, à chacun la sienne. Bercée par notre respiration profonde elle dépoussière notre âme de ce qui l’empêchait de respirer et…
…Pop !
Notre génie artistique surgit. Craies, gouaches, stylos, laissons fleurir les couleurs, les mouvements, les mots. Centrons-nous un instant sur ce détail qui a piqué notre curiosité et considérons-le d’un peu plus près. Qu’a-t-il à nous apprendre ? Un dialogue s’amorce : « J’aimerais te dire… ». Nous l’écoutons nous parler dans le bruissement léger de la plume qui effleure et glisse sur le papier. Ses paroles profondes nous émeuvent ou nous amusent, nous émerveillent et nous font voyager en notre for intérieur. La poésie entre dans la danse. Le cœur de la terre-mère bat à présent à travers nos mots : aimer au point de vouloir que l’autre reste, aimer malgré l’erreur, nager dans le ciel, comprendre que la question ne peut venir que de nous face à la page blanche, s’étonner de sa capacité de concentration, être dans la gratitude de l’instant présent. L’énergie se partage grâce à la magie de ces vérités si simples que nous exprimons à voix haute.
À table !
L’heure est à l’énergie de la convivialité et des fruits de notre terre-mère dont nous nous délectons sous un soleil ardent. Les senteurs des huiles essentielles nous rappellent combien la nature est guérisseuse. L’orgue des fragrances est dirigé d’une main de maître par un chef d’orchestre passionné et à l’écoute de la moindre dissonance.
Ting, bon, ting. Boooong.
Au pied de l’arbre une conversation d’un genre particulier s’engage. Les sages se sont posés au sol et nous proposent de faire leur connaissance. Ronds, de tailles variables, ils sont prêts à répondre à nos interrogations. Mailloche en main, notre question vient frapper ou effleurer délicatement le bol qui aussitôt répond par un son puissant ou une vibration chantée. La fontaine des fées voit ses eaux cristallines se muer en fines gouttelettes qui jaillissent en un feu d’artifice, rendu scintillant par les rayons du soleil qui filtrent à travers la canopée. Un filet d’eau se fait entendre. Portés par ce ruissellement, nous embarquons pour une évasion sonore qui nous transporte très vite sur les bords de mer. Le bruit du ressac nous berce. Nos pieds baignent dans l’écume des vagues. Nous profitons de ce bain de verdure pour nous laisser aller. Les sages nous accompagnent. L’âme du monde chante et résonne tout autour de nous. Elle voyage en flottant avec grâce sur la mélodie d’une flûte indienne. Sa voix sait prendre différentes tonalités pour qui veut bien tendre l’oreille et l’écouter. Nos corps s’endorment, lévitent, se dissolvent. L’âme toujours reste en éveil. Elle fusionne avec le rythme du monde, avec sa musicalité. Un cercle de lumière blanche nous unit et tournoie au-dessus de nos têtes. Nos énergies sont en symbiose. Nous sommes hors du temps. En suspend. Dans l’instant présent. Puis le voyage touche à sa fin. Notre conscience regagne notre corps. Les sensations reviennent. Le vent et le soleil caressent à nouveau notre peau, notre écorce. L’enveloppe terrestre revient à la vie, régénérée. L’acuité des sens est aiguisée. L’esprit est calme. Apaisé.
Yin !
Philosophie de l’être. Se poser. Respirer. Devenir la posture. Mère Teresa, Khalil Gibran, et autres grands maîtres bouddhistes, nous ramènent à l’essentiel. À l’instant présent. Le seul qui compte. Le passé n’est plus. Le futur n’est pas à imaginer. Ne rien attendre et tout arrivera. Le monde animal s’invite à son tour : le crocodile, le chien qui se mord la queue…le sphinx. Nous sommes les questions et les réponses aux énigmes de notre existence. Notre enfant intérieur le sait. Il prend sa posture d’enfant rieur et s’amuse de notre mutisme face à une vérité si simple, si évidente. Il n’a jamais quitté l’instant présent, lui. Si seulement nous le laissions nous aider à préserver cet ancrage dans notre quotidien. Le son de son rire cristallin restaure la joie dans nos cœurs. Aum. Aum. Aum. L’enfant rieur est le son originel, il vit en nous et guette la moindre occasion de nous faire pétiller de vie.
Namaste !
À présent, entre dans la danse à ton tour ! Fais-nous sautiller, glisser sur l’herbe, voler tel un oiseau. Amusons-nous, en toute insouciance, sur la plage abandonnée, avant de nous séparer dans un dernier…Namaste.

Il en faut peu...

Il en faut peu…
…pour voir la feuille morte s’envoler de l’arbre
…pour pousser le nuage qui voile le visage souriant du soleil
…pour sentir la main du vent nous caresser délicatement la peau

Il en faut peu…
…pour permettre le chant des oiseaux
…pour faire bruisser joyeusement les arbres
…pour soulever le cerf-volant et le faire glisser dans les airs

Il en faut peu…
…pour faire danser les fleurs sauvages dans les champs
…pour transformer le froid de l’hiver en bise
…pour faire vaciller la flamme chaleureuse d’une bougie

Il en faut peu…
…pour faire tourner le moulin à vent arc-en-ciel dans le jardin
…pour dessiner des ombres et des lumières sur les murs de la maison
…pour faire ondoyer la mer en vagues discrètes

Il en faut peu…
…pour permettre aux oiseaux de planer au-dessus de leur proie
…pour soulever la poitrine de nouveau-né pour la première fois
…pour sentir ton amour me caresser le cou

Il en faut peu…
…pour bercer le monde et lui donner vie.

Il suffit juste…d’un peu d’air.

Trésor le gardien

    Il était une fois un petit chien tout noir, adorable, qui était toujours d’humeur joyeuse. Ce petit chien était rigolo en toute saison : en hiver il sautillait dans la neige, la queue toute frétillante, et en été il courait à perdre haleine sur la plage. Il vivait dans une famille chaleureuse qui lui procurait câlins et bisous à foison. Il y recevait beaucoup d’amour. Mais ce que cette famille ne savait pas, c’était que leur petit chien avait un secret. Et ce secret, je m’en vais à présent vous le raconter…

    J’ai fait la connaissance de ce petit chien il y a quelques années lorsqu’en pleine cavalcade sur la plage un petit garçon le pointa du doigt et s’écria :
- C’est lui maman, c’est le petit chien dont je t’ai parlé et qui est venu me voir !
La maman ainsi interpellée leva les yeux en direction du chien, sourit en le voyant lancé dans une course effrénée, et poursuivit sa balade en compagnie de son petit garçon. Visiblement elle ne voulait contredire son fils même si en son for intérieur elle s’amusait de son imagination débordante. Dans les semaines et les mois qui suivirent, tandis que je voyais régulièrement ce chien, d’autres enfants interpellaient leurs parents, affirmant tous avoir vu ce chien leur rendre visite. Chaque fois la réaction des parents étaient la même, bien que certains se soient parfois pris au jeu de leur enfant en le questionnant davantage :
« Ah c’est lui ! Et quand t’a-t-il rendu visite déjà ? Rappelle-moi ? », ponctuant ce dialogue par « Et que t’a-t-il dit ? » ou « Et avez-vous joué ? », « Êtes-vous allés vous balader ? ».
Les réponses de leur cher bambin avaient le don de les faire sourire, ils se souvenaient comme il était bon d’être si innocent et rêveur.
    De mon côté je m’étonnais que tant d’enfants affirment avec sérieux avoir déjà vu ce chien qui visiblement était inconnu de leur parents. C’est alors que je mis à écouter plus attentivement les réponses qu’ils fournissaient à leurs parents à propos de cette rencontre. Certains assuraient avoir reçu sa visite à plusieurs reprises. D’autres disaient qu’il était venu sous la forme d’un petit ange avec des ailes dans le dos et une auréole au-dessus de la tête. D’autres encore expliquaient avoir parlé avec lui de leurs rêves. Enfin tous s’accordaient pour dire qu’il était très gentil et qu’ils étaient amis avec lui. Quel discours étrange ! D’autant qu’en dehors de ce chien, aucun point commun ne semblait lier ces différents enfants. Piquée par la curiosité, je voulais absolument élucider ce mystère. Alors je me suis mise à discuter avec ces enfants et leurs parents, parents qui au début ne comprenaient pas que je puisse accorder un quelconque crédit aux élucubrations de leurs enfants. Au cours de ces échanges je découvris un fait singulier qui semblait relier ces enfants. Tous avaient été hospitalisés plus ou moins récemment. C’est lors de cet événement qu’ils avaient rencontré le petit chien noir.
    C’est ainsi que je commençai à recueillir leurs témoignages. Le petit chien leur était apparu à tous la nuit, lorsque tout le monde dormait. Il était entré dans leur chambre, avait sauté sur leur lit, s’était approché pour que l’enfant lui fasse un câlin, puis s’était assis sur le lit, queue frétillante et yeux malicieux. Avait alors commencé une conversation dans laquelle l’enfant parlait de ses peurs face à une opération à venir, ou face à une maladie, l’inquiétude de leurs parents qu’ils ressentaient très, très fort – ou « cré, cré fort » comme le disaient les plus petits. Le petit chien noir les rassurait en entendant leurs pleurs et en apaisant leur petit cœur. Pour ce faire il les amenait à parler de leurs rêves : aller dans l’espace, soigner des animaux, devenir cowboy, vivre dans un château comme un chevalier, devenir fermière, être une fée qui d’un coup de baguette magique fait disparaître toute la souffrance dans le monde….les rêves ne manquaient pas ! Et pendant qu’ils rêvaient les enfants ne pensaient plus à leurs problèmes. Ils étaient heureux, affichaient un sourire radieux et retrouvaient l’espoir.
    Au petit matin, avant de partir, le petit chien noir et les enfants se serraient la pince, marquant ainsi le début d’une belle amitié, puis le chien s’envolait, ailes déployées et auréole scintillante au-dessus de sa pette tête. Et lorsque le chien remarquait que l’enfant n’allait plus avoir besoin de visite, il leur confiait un dernier secret. Il les regardait droit dans les yeux et dans un sourire chaleureux il leur disait :
« Quand tu rêves éveillé tes yeux pétillent et tu oublies tes soucis. Les rêves rendent fort et permettent de surmonter toutes les difficultés de la vie. Se sont tes plus précieux trésors. Accroche-toi à eux et tu triompheras toujours de tout. Et si un jour cela te paraissait trop difficile, dis mon nom et tous tes rêves te reviendront. »
Chaque enfant posait alors la même question tandis qu’il s’approchait en volant de la porte de la chambre :
- Quel est ton nom petit ange ?
Et le chien répondait :
- Trésor !
    
     C’est ainsi que je découvris le plus beau des secrets, qui était aussi le plus beau des trésors : celui d’un petit chien qui venait redonner courage à des enfants malades, que parfois les paroles des adultes ne parvenaient pas à consoler. Il les aidait à garder vivant leurs rêves au plus profond de leur petit cœur pour qu’un jour, enfin guéris, ils puissent les faire devenir réalité !

Larme grâcieuse

Suspendue au bord d’une feuille, dans un équilibre frêle et instable, j’attends que l’on vienne me cueillir. Je regarder le soleil qui se retire de la scène céleste, ses derniers rayons s’inclinant pour la saluer le monde prêt à s’endormir, avant que le rideau de nuages vaporeux ne tombe sur l’horizon. Depuis mon promontoire vert qui borde l’étang, j’admire mon reflet. Les eaux miroitantes ondulent dans une danse voluptueuse impulsée par le vent, les trémolos aquatiques servant d’écho aux vagues à l’âme de la terre. Un être s’approche. Ses pieds foulent l’herbe humide du soir. Tête baissée, les bras le long du corps, des larmes coulent sur son visage. Il s’assoit au bord de l’eau. Son corps se recroqueville et se met à trembler sous les coups violents de soubresauts saccadés. Une tempête y fait rage. L’être se penche au-dessus de l’eau et y mire son reflet. Les nuages viennent voiler son regard habituellement limpide à mesure que celui-ci plonge dans les profondeurs de cette psyché naturelle, jusqu’à se déposer sur la vase. Les mains écrasent chaque larme qui tente de rejoindre ces eaux lacrymales. Mais rien n’y fait. Le flot est plus fort et les larmes ruissellent sur ses joues avant de plonger dans le grand bain. La surface se trouble. Des ronds se forment ici, et là. Partout. Des ronds, encore des ronds. Tout tourne en rond. Tout, sauf moi. Moi, je contemple ce spectacle d’en haut, et c’est là que l’être me voit. Il relève la tête, se tourne, parcourt du regard la canopée et s’immobilise en m’apercevant suspendue à cette feuille. Il se lève, s’approche et se poste devant moi. Il me fixe intensément. Sentant de nouvelles larmes prêtes à perler, il les recueille du bout des doigts et les projette, telles des éclaboussures de peintures, sur la toile végétale qui l’environne. L’effet est immédiat. Le monde se mue en une œuvre impressionniste. Comme il est beau de voir les larmes éclaircir les tableaux les plus ténébreux et mélancoliques de notre vie en en diluant les teintes les plus sombres, les lavant de nos états d’âmes. Le cœur s’allège, l’être respire de nouveau. Il esquisse un sourire et son regard se dé-voile. Il revient vers moi, s’étire vers le ciel, en équilibre sur la pointe des pieds, tend son index aussi haut que possible et vient me cueillir. Nous regagnons ensemble la terre ferme. Émerveillé, il me fait courir le long de ses doigts avant de me laisser redessiner la ligne de vie qui sillonne la paume de sa main. Je m’enroule ensuite autour de son poignet, tel un ruban et caresse son avant-bras. Puis je glisse jusque ses épaules, devenant l’espace d’un instant une couverture douillette qui l’enveloppe avec douceur. Nous restons comme cela un moment, dans notre bulle, flottant hors du temps. Je regagne le creux de sa main et m’élance dans les airs. De peur de me voir m’écraser au sol et disparaître dans la boue, il tend son autre main et me rattrape au vol. Mais le répit est de courte durée car voilà que je m’élance à nouveau, passant d’une main à l’autre, invitant ainsi mon hôte dans un numéro de jonglage improvisé. Il se prête rapidement au jeu et ses yeux pétillent. Il se met à rire aux éclats lorsque je m’amuse à ne pas redescendre tout de suite ou à changer de trajectoire, l’entraînant dans des cabrioles et des postures acrobatiques fort improbables. Que de légèreté ! L’être ne ploie plus sous le poids des vicissitudes de la vie. Au contraire, il a retrouvé l’allégresse de l’innocence et l’ivresse de la joie. Il suit le flot de la vie au gré des vagues qui montent et redescendent pour mieux remonter ensuite. Tout est question d’équilibre et de fluidité. D’harmonie avec le monde. Dans ce dialogue pas besoin de mots. Être dans l’instant présent, en pleine conscience de la vie qui circule en nous et autour de nous, suffit. Il me fait glisser le long de son corps en me suivant du regard afin de veiller à ce que jamais je ne tombe. Nous évoluons dans une chorégraphie unique et éphémère, dont nous ne connaissons pas le prochain mouvement. Guidés par l’inédit, tout n’est que liberté, découverte, et surprise ! Il finit par me faire revenir au creux de sa main, et m’enveloppe de la seconde. Je suis à présent dans un écrin, protégée telle un trésor précieux. Il entrouvre légèrement les mains, m’approche de sa poitrine, et me dépose au creux de celle-ci. À l’intérieur, un rythme sourd et répétitif résonne et me fait vibrer tant il est puissant. Je suis dans son cœur. Larme issue du ciel, symbiose entre un rayon de soleil et une goutte de pluie, je viens remplacer les larmes de tristesse qui jadis occupaient les lieux. Je me mêle au flux, je tournoie, me laisse emporter. Je vibre et fais vibrer l’être que j’habite. Ça y est : je suis vivante !

Damagée

Vous êtes-vous déjà retrouvé enfermé dans un tableau ? Non ? Eh bien moi, oui. C’était lors d’une journée ordinaire. Je sortais de la bouche de métro, mes écouteurs entonnaient l’Ave Maria de Schubert, lorsque, gagnant le trottoir…plus de musique. Je regardai mon téléphone, écran noir. Je levai les yeux, stupéfaction. Toute la rue était en arrêt sur image. Le ballet chorégraphié de la circulation, ponctué à l’accoutumée d’une cacophonie de klaxons et d’injures, était paralysé. Les effluves nauséabonds du métro, mêlés aux relents pestilentiels des gaz d’échappement, avaient laissé place à une chaleur moite irrespirable. L’air frais du printemps renaissant avait vidé les lieux. L’agitation frénétique des passants, simples habitants du quartier ou touristes, avait cessé : plus de gens qui cherchent leur route, avec ou sans carte, plus de conversations animées, plus de rires. Même les oiseaux, que l’on peinait habituellement à entendre dans ce capharnaüm urbain, étaient étrangement muets. Une chape de silence plombait la ville. Au centre du tableau, le coin de la rue où tous s’étaient regroupés autour d’une vieille dame voûtée, tout de blanc vêtue, en proie à des souffrances indicibles. Son ossature craquait, elle était envahie d’une fièvre dévorante et son corps était perforé. En la voyant, mon cœur se serra. Je me sentis transpercé de part en part par une flèche acérée, laissant dans son sillage la douleur vive et lancinante de la chair qui se déchire et vole en éclats. Des secouristes se tenaient à son chevet. Ils se sentirent très vite impuissants. Dans cette scène, des gens accouraient de toute part pour rejoindre l’attroupement et s’enquérir de la situation, d’autres pointaient la vieille dame du doigt, certains levaient les yeux au ciel tandis que d’autres, au contraire, les fermaient pour se recueillir et prier. La nuit enveloppait peu à peu la ville de son long manteau de velours noir, duquel même les étoiles s’étaient retirées. Tout était ténébreux et lugubre. Seul dominait au-dessus de la dame, un rougeoiement vif et ardent, étouffé par un brouillard incandescent. L’atmosphère embrasée était suffocante. Le tableau changea. Le corps de l’aïeule se contorsionna en de violents soubresauts. Tout le monde retint son souffle. Finies les vibrations souterraines du métro. Une onde d’effroi parcourut les entrailles de la terre, trouvant écho en chacun. Tous avaient peur. Peur que cette grande dame ne s’éteigne définitivement pour redevenir poussière. La gorge étranglée, la poitrine hoquetant sous les sanglots, les yeux clos, ils priaient. Leurs larmes ruisselaient abondamment, se mêlant à celles versées par les secouristes. Tous fixaient avec fébrilité ce symbole de quiétude, de vie, d’amour inconditionnel, d’invulnérabilité face au Temps. Aide, bénédiction, faveur, cette dame drapée de dentelle les accordait à quiconque franchissait son seuil. Aussi la tragédie poignante de son agonie transcendait-elle le chœur du monde entier. Au son des psalmodies profondes, les étoiles qui s’étaient éclipsées vinrent illuminer les lampadaires et irradier le cœur des Hommes – ravivant la flamme d’une foi indéfectible, renouant avec la majesté de l’univers. Tous attendaient. Emplis d’espoir, ils voulaient encore croire aux miracles. Aux lumières du petit jour, le tableau se mua en un triptyque. Les petites étincelles de vie attisées en chacun eurent raison de l’étincelle qui mit le feu aux poutres de ce merveilleux édifice. Les larmes vainquirent les flammes qui avaient menacé les tours de cette dame âgée. Les prières furent autant de cloches sonnées et de notes jouées sur le grand orgue de cet emblème de la ville. Leurs voix s’élevèrent en un Ave Maria éclatant et retentissant, semblable à celui de Schubert que j’écoutais avant que tout ne commence. Le ciel érubescent à l’arrivée de Phœbus annonça, à quelques jours de Pâques, une résurrection flamboyante. Notre Dame était sauvée.

Audition du silence

Elle le tenait enfin ! Ce n’était pas faute de l’avoir cherché longuement mais chaque fois il lui avait échappé. Il faut dire qu’il est plutôt insaisissable, se laissant difficilement approcher. Quoiqu’approcher ne soit pas vraiment le terme adéquat. Apprivoiser serait plus juste. Il y a quelques jours de cela elle avait lancé un appel désespéré et les candidats s’étaient bousculés au portillon de son esprit. La première à s’être présentée répondait au nom de Stella. Elle était rayonnante, pleine d’énergie et très chaleureuse. Sa vie se résumait à guider les voyageurs, à faire l’objet d’études scientifiques ou encore à se refléter dans les yeux des gens. Elle évoluait dans un monde dans lequel aucun son n’existe rendant toute communication…impossible. La jeune femme considéra Stella quelques instants puis finit par lui dire : -Désolé Stella mais ton silence n’est pas celui que je cherche. Il est si …indicible que je ne peux le retranscrire. Stella n’entendit aucun mot bien sûr mais sut au regard de son interlocutrice qu’elle n’était pas retenue. Elle rejoignit sa constellation, à jamais prisonnière du silence de l’univers. La jeune femme, elle, se retrouva à nouveau seule face à sa page blanche. Silence. Au loin, un homme apparut. Il avait une allure fantomatique. Tandis qu’il s’approchait elle vit qu’il s’agissait d’un artiste. Il affichait un air triste. Il lui conta sa vie : une femme, deux enfants, une vie professionnelle réussie. Il semblait avoir tout pour être heureux. Et pourtant. Au lieu d’être radieux comme Stella, il avait le regard éteint – habité par un trou noir qui engloutissait chaque étincelle de bonheur : - Malgré les notes que je joue, et auxquelles je donne vie, je suis cloîtré dans un silence mortifère, voyez-vous. C’est pourquoi je me suis dit que mon silence vous intéresserait peut-être. - Votre histoire est attachante je dois l’admettre mais ce n’est malheureusement pas ce que je recherche. Néanmoins je garde votre candidature, on ne sait jamais, cela peut évoluer. Le musicien reprit ses notes et sa tristesse, tourna les talons et s’éloigna la tête et le regard baissés. Sans autre mot. Il vivait dans le silence de la résignation. Sa vie ne lui plaisait pas, les choix passés n’avaient finalement pas tous été les bons. Mais que faire ? Rien. Silence. Retour à la page blanche. Arriva alors un homme des plus singuliers. Barbu, habillé en blanc et qui ne portait pas de chaussures. Il se présenta sans piper mot. Elle attendit qu’il entame la conversation. Il resta là, immobile. Puis il se mit à même le sol et commença à écrire. Elle se pencha et commença à déchiffrer ce qui germait sous ses yeux. Une étoile brillante, deux animaux, des rois, un baptême, un fleuve, des paysages désertiques, des pécheurs, des pêcheurs, des marchands, un mariage, du vin, du pain, du poisson, des guérisons, une montagne, un jardin avec des oliviers, un romain, une croix, des clous, la mort, la vie, les cieux. Elle comprit. - On me connaît surtout pour mes paroles alors que le plus important réside dans ce que je n’ai pas dit, finit-il par confier. - Es-tu Jésus ? demanda-t-elle - Tu le dis. La phrase qui résume à elle seule le silence. Dire dans le non-dit. - L’ennui, reprit-elle, c’est que je ne peux racont- Il leva la main droite pour l’interrompre et s’approcha. Dans un geste de bénédiction il apposa sa main sur le cœur de la jeune femme. Son esprit se tut. Tout ne fut plus que silence. … C’est là qu’elle le trouva, ce trésor éthéré qu’elle avait désespérément cherché. Il était là, devant elle. Elle vivait une rencontre toute en intimité, dans un écrin feutré. Les mots étaient superflus, tout passait par les émotions. Elle était hors du temps. Elle évoluait dans cet espace où l’on ferme les yeux pour mieux entendre… le cœur. Ce cœur qui soudain s’irradie. Ce cœur qui se met à vibrer aux notes célestes et profondes de la voix d’Erato. Ce cœur qui connaît enfin la félicité d’être transcendé par l’inspiration. Elle savourait ce moment rare que trop d’écrivains zappent, pressés de coucher leur création sur le papier. L’instant situé après l’angoisse de la page blanche et l’intense recherche d’idées. Le moment d’avant la création, où tout n’est que silence, avant que l’explosion des particules verbales ne se mue en un univers foisonnant et chatoyant. Oui, elle le tenait enfin. Elle avait attrapé…un silence. Son silence.