lundi 13 juillet 2020

Larme grâcieuse

Suspendue au bord d’une feuille, dans un équilibre frêle et instable, j’attends que l’on vienne me cueillir. Je regarder le soleil qui se retire de la scène céleste, ses derniers rayons s’inclinant pour la saluer le monde prêt à s’endormir, avant que le rideau de nuages vaporeux ne tombe sur l’horizon. Depuis mon promontoire vert qui borde l’étang, j’admire mon reflet. Les eaux miroitantes ondulent dans une danse voluptueuse impulsée par le vent, les trémolos aquatiques servant d’écho aux vagues à l’âme de la terre. Un être s’approche. Ses pieds foulent l’herbe humide du soir. Tête baissée, les bras le long du corps, des larmes coulent sur son visage. Il s’assoit au bord de l’eau. Son corps se recroqueville et se met à trembler sous les coups violents de soubresauts saccadés. Une tempête y fait rage. L’être se penche au-dessus de l’eau et y mire son reflet. Les nuages viennent voiler son regard habituellement limpide à mesure que celui-ci plonge dans les profondeurs de cette psyché naturelle, jusqu’à se déposer sur la vase. Les mains écrasent chaque larme qui tente de rejoindre ces eaux lacrymales. Mais rien n’y fait. Le flot est plus fort et les larmes ruissellent sur ses joues avant de plonger dans le grand bain. La surface se trouble. Des ronds se forment ici, et là. Partout. Des ronds, encore des ronds. Tout tourne en rond. Tout, sauf moi. Moi, je contemple ce spectacle d’en haut, et c’est là que l’être me voit. Il relève la tête, se tourne, parcourt du regard la canopée et s’immobilise en m’apercevant suspendue à cette feuille. Il se lève, s’approche et se poste devant moi. Il me fixe intensément. Sentant de nouvelles larmes prêtes à perler, il les recueille du bout des doigts et les projette, telles des éclaboussures de peintures, sur la toile végétale qui l’environne. L’effet est immédiat. Le monde se mue en une œuvre impressionniste. Comme il est beau de voir les larmes éclaircir les tableaux les plus ténébreux et mélancoliques de notre vie en en diluant les teintes les plus sombres, les lavant de nos états d’âmes. Le cœur s’allège, l’être respire de nouveau. Il esquisse un sourire et son regard se dé-voile. Il revient vers moi, s’étire vers le ciel, en équilibre sur la pointe des pieds, tend son index aussi haut que possible et vient me cueillir. Nous regagnons ensemble la terre ferme. Émerveillé, il me fait courir le long de ses doigts avant de me laisser redessiner la ligne de vie qui sillonne la paume de sa main. Je m’enroule ensuite autour de son poignet, tel un ruban et caresse son avant-bras. Puis je glisse jusque ses épaules, devenant l’espace d’un instant une couverture douillette qui l’enveloppe avec douceur. Nous restons comme cela un moment, dans notre bulle, flottant hors du temps. Je regagne le creux de sa main et m’élance dans les airs. De peur de me voir m’écraser au sol et disparaître dans la boue, il tend son autre main et me rattrape au vol. Mais le répit est de courte durée car voilà que je m’élance à nouveau, passant d’une main à l’autre, invitant ainsi mon hôte dans un numéro de jonglage improvisé. Il se prête rapidement au jeu et ses yeux pétillent. Il se met à rire aux éclats lorsque je m’amuse à ne pas redescendre tout de suite ou à changer de trajectoire, l’entraînant dans des cabrioles et des postures acrobatiques fort improbables. Que de légèreté ! L’être ne ploie plus sous le poids des vicissitudes de la vie. Au contraire, il a retrouvé l’allégresse de l’innocence et l’ivresse de la joie. Il suit le flot de la vie au gré des vagues qui montent et redescendent pour mieux remonter ensuite. Tout est question d’équilibre et de fluidité. D’harmonie avec le monde. Dans ce dialogue pas besoin de mots. Être dans l’instant présent, en pleine conscience de la vie qui circule en nous et autour de nous, suffit. Il me fait glisser le long de son corps en me suivant du regard afin de veiller à ce que jamais je ne tombe. Nous évoluons dans une chorégraphie unique et éphémère, dont nous ne connaissons pas le prochain mouvement. Guidés par l’inédit, tout n’est que liberté, découverte, et surprise ! Il finit par me faire revenir au creux de sa main, et m’enveloppe de la seconde. Je suis à présent dans un écrin, protégée telle un trésor précieux. Il entrouvre légèrement les mains, m’approche de sa poitrine, et me dépose au creux de celle-ci. À l’intérieur, un rythme sourd et répétitif résonne et me fait vibrer tant il est puissant. Je suis dans son cœur. Larme issue du ciel, symbiose entre un rayon de soleil et une goutte de pluie, je viens remplacer les larmes de tristesse qui jadis occupaient les lieux. Je me mêle au flux, je tournoie, me laisse emporter. Je vibre et fais vibrer l’être que j’habite. Ça y est : je suis vivante !

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