lundi 13 juillet 2020

Audition du silence

Elle le tenait enfin ! Ce n’était pas faute de l’avoir cherché longuement mais chaque fois il lui avait échappé. Il faut dire qu’il est plutôt insaisissable, se laissant difficilement approcher. Quoiqu’approcher ne soit pas vraiment le terme adéquat. Apprivoiser serait plus juste. Il y a quelques jours de cela elle avait lancé un appel désespéré et les candidats s’étaient bousculés au portillon de son esprit. La première à s’être présentée répondait au nom de Stella. Elle était rayonnante, pleine d’énergie et très chaleureuse. Sa vie se résumait à guider les voyageurs, à faire l’objet d’études scientifiques ou encore à se refléter dans les yeux des gens. Elle évoluait dans un monde dans lequel aucun son n’existe rendant toute communication…impossible. La jeune femme considéra Stella quelques instants puis finit par lui dire : -Désolé Stella mais ton silence n’est pas celui que je cherche. Il est si …indicible que je ne peux le retranscrire. Stella n’entendit aucun mot bien sûr mais sut au regard de son interlocutrice qu’elle n’était pas retenue. Elle rejoignit sa constellation, à jamais prisonnière du silence de l’univers. La jeune femme, elle, se retrouva à nouveau seule face à sa page blanche. Silence. Au loin, un homme apparut. Il avait une allure fantomatique. Tandis qu’il s’approchait elle vit qu’il s’agissait d’un artiste. Il affichait un air triste. Il lui conta sa vie : une femme, deux enfants, une vie professionnelle réussie. Il semblait avoir tout pour être heureux. Et pourtant. Au lieu d’être radieux comme Stella, il avait le regard éteint – habité par un trou noir qui engloutissait chaque étincelle de bonheur : - Malgré les notes que je joue, et auxquelles je donne vie, je suis cloîtré dans un silence mortifère, voyez-vous. C’est pourquoi je me suis dit que mon silence vous intéresserait peut-être. - Votre histoire est attachante je dois l’admettre mais ce n’est malheureusement pas ce que je recherche. Néanmoins je garde votre candidature, on ne sait jamais, cela peut évoluer. Le musicien reprit ses notes et sa tristesse, tourna les talons et s’éloigna la tête et le regard baissés. Sans autre mot. Il vivait dans le silence de la résignation. Sa vie ne lui plaisait pas, les choix passés n’avaient finalement pas tous été les bons. Mais que faire ? Rien. Silence. Retour à la page blanche. Arriva alors un homme des plus singuliers. Barbu, habillé en blanc et qui ne portait pas de chaussures. Il se présenta sans piper mot. Elle attendit qu’il entame la conversation. Il resta là, immobile. Puis il se mit à même le sol et commença à écrire. Elle se pencha et commença à déchiffrer ce qui germait sous ses yeux. Une étoile brillante, deux animaux, des rois, un baptême, un fleuve, des paysages désertiques, des pécheurs, des pêcheurs, des marchands, un mariage, du vin, du pain, du poisson, des guérisons, une montagne, un jardin avec des oliviers, un romain, une croix, des clous, la mort, la vie, les cieux. Elle comprit. - On me connaît surtout pour mes paroles alors que le plus important réside dans ce que je n’ai pas dit, finit-il par confier. - Es-tu Jésus ? demanda-t-elle - Tu le dis. La phrase qui résume à elle seule le silence. Dire dans le non-dit. - L’ennui, reprit-elle, c’est que je ne peux racont- Il leva la main droite pour l’interrompre et s’approcha. Dans un geste de bénédiction il apposa sa main sur le cœur de la jeune femme. Son esprit se tut. Tout ne fut plus que silence. … C’est là qu’elle le trouva, ce trésor éthéré qu’elle avait désespérément cherché. Il était là, devant elle. Elle vivait une rencontre toute en intimité, dans un écrin feutré. Les mots étaient superflus, tout passait par les émotions. Elle était hors du temps. Elle évoluait dans cet espace où l’on ferme les yeux pour mieux entendre… le cœur. Ce cœur qui soudain s’irradie. Ce cœur qui se met à vibrer aux notes célestes et profondes de la voix d’Erato. Ce cœur qui connaît enfin la félicité d’être transcendé par l’inspiration. Elle savourait ce moment rare que trop d’écrivains zappent, pressés de coucher leur création sur le papier. L’instant situé après l’angoisse de la page blanche et l’intense recherche d’idées. Le moment d’avant la création, où tout n’est que silence, avant que l’explosion des particules verbales ne se mue en un univers foisonnant et chatoyant. Oui, elle le tenait enfin. Elle avait attrapé…un silence. Son silence.

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